Le philosophe nu, Alexandre JOLLIEN, 2010

294729Le philosophe nu

Alexandre JOLLIEN , Seuil, 2010

 

Platon, dans « Le Banquet », évoque, par la voix d’Aristophane, l’existence, au temps jadis, de trois catégories d’êtres humains :

  •  le mâle,
  • la femelle, et
  • l’androgyne, avec quatre mains, quatre jambes, oreilles, deux visages, une tête, deux sexes. Les créatures rivalisaient avec les Dieux. Zeus, jaloux, se sent menacé et les coupe en deux. Depuis, nostalgiques, pauvres incomplètes moitiés, elles espèrent retrouver leur complétude d’antan. Ce mythe répond à ma secrète aspiration :
  • greffer à ma fragile moitié, une autre, plus robuste….devenir sans faille, sans handicap ?
  • Ecrire un traité sur les passions, pour calmer mes déceptions, mes désirs, mes peurs qui me torturent.Faire cohabiter passion et détachement dans ce même cœur…oser l’abandon. « Rien ne sert de lutter contre mon obsession (la passion), je désire plutôt me reposer de moi dans l’autre, et pratiquer le détour. Je suis las de combattre, fatigué de lutter. (p.19)
  • L’étymologie de passion renvoie au grec, à « pathos », souffrance, maladie douleur. Subir, aliéner sa liberté. Pour les stoïciens, la passion relève d’un jugement de valeur erroné. La joie libère, peut-elle conduire au détachement ? L’amour de ma femme, de mes enfants, est aussi plus fort que moi, un lien qui me ressource, me donne la force de me libérer. Nietzsche, dans Zarathoustra, prologue :

 « Il faut porter encore en soi un peu de chaos 

pour pouvoir mettre au monde  une étoile dansante. » 

Pour Spinoza, accéder au contentement de l’âme, il s’agit de se savoir partie d’un tout, afin

  • d’assumer son existence…. développer un amour de soi, un accueil  inconditionnel de la réalité. » Accueillir le réel, ce n’est ni abdiquer, ni tolérer l’inacceptable, mais bien plutôt l’épouser.
  •  Nulle libération n’est possible sans la JOIE. Il y a beaucoup de lieux discrets où la joie attend encore. Je m’obstine à ne la chercher que là où je la veux. Comme un malappris qui ne savoure les hors-d’œuvre d’un festin.

« Regardez, mais ne touchez pas ! »

Ces mots peuvent guider la visite de notre musée intérieur :

  • Oser l’inaction,
  • regarder sans toucher,
  • ne rien faire, ne pas fuir.

Pratiquer zazen et marcher comme si je n’étais que deux jambes, c’est-à-dire pratiquer la non-dualité, contempler le cèdre comme si j’étais le cèdre, aucun jugement. Pratiquer « jusqu’à ce qu’il n’y ait plus la moindre marge où la pensée puisse s’introduire » (Sekkei Harada).

  • La véritable vocation des exercices spirituels : sortir de soi, mourir à soi pour renaître, plus LIBRE.
  • Prise de conscience des passions sociales, elles naissent du contrat avec autrui. Sur une île déserte, nulle vantardise, nulle jalousie…en société, je me compare, je jalouse, j’envie, je déteste, j’aime…….sur une île déserte, mon corps serait parfait, presque ! Idéaliser c’est se couper du réel. Je devine la haine de soi dans la fascination que je porte aux garçons normaux.
  • Pour se libérer,  il faut se savoir esclave.
  • La joie est l’adhésion au réel. Ce n’est pas le sacrifice ni le renoncement qui conduisent au détachement, mais bien plutôt la joie. Le détachement naît de la joie, celle qui pousse à oser l’abandon, à prendre le risque de se libérer de toute chose et êtres.
  • La joie requiert l’acceptation à cette adhésion.
  • Pour l’instant, c’est la peur et la haine de soi qui me ligotent à ma petite dualité…oserais-je ??
  • L’obsession coupe de la joie, réduit le monde et me transforme en esclave. Ascèse du désir, désir de l’ascèse. Paradoxe absolu, plus nous aimons la vie, plus nous pouvons nous détacher de nous.
  • Méditer, c’est laisser passer le train de la réflexion, sans monter dans les wagons.  Qui souhaite posséder est possédé.  Longtemps j’ai chéri mon esclavage, si bien que lorsque l’angoisse ou l’ambition se sont estompées, j’ai ressenti comme un vide. Le passionné a besoin de se sentir remué, bouleversé pour se sentir vivre.
  • « Ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. » St Paul, Epître aux Romains. L’exercice spirituel, c’est considérer toute personne que je côtoie comme un maître en détachement un terrain de libération.
  • Le théâtre diffuse le pathos pour que le spectateur éprouve la passion à distance et s’en « purge » du même coup. Purger pour se délester, quitter l’excès. Certaines de mes passions pourraient-elles m’aider à me libérer de celles qui sont nocivement plus fortes que moi ? Maître Soko Morinaga :
  • « Quand vous avez fini de préparer la cuisine, mourez. Naissez à nouveau autour de la table, pendant le repas, quand vous aurez terminé, mourez. Naissez dans le jardin, soyez le balai qui balaie. Quand le soir vous vous couchez,  mourez. Quand le matin vous sortez du lit, naissez à nouveau. Si vous êtes atteints du cancer, naissez avec le cancer. C’est le maintenant- et seulement ce maintenant- qui naît de l’instant. C’est le maintenant-et seulement ce maintenant- qui meurt à nouveau. Telle est la pratique zen. »
  • Mourir à soi, dans la joie, dans l’épreuve, c’est renaître à chaque instant, ne pas me figer dans ce que j’ai été et laisser sans cesse la vie se renouveler en moi. Dans les moments de joie, les besoins disparaissent d’eux-mêmes, pour celui qui sait se combler du réel. Nietzsche a raison :
  • « en aspirant frénétiquement à un ordre impeccable, en s’évertuant à terrasser la passion, et les pulsions, nous tuons la vie. »
  • Le Zen invite : « shi kan » (rien que). Rien que boire, Rien qu’écrire, rien que se brosser les dents…. Se consacrer tout entier au geste accompli dans l’instant. Se détacher du détachement, ici et maintenant, oser la non-fixation, ne pas s’appesantir, ni s’attarder,  ne pas saisir,ni refuser, vivre à fond chaque instant. Pas besoin de jouer un rôle, juste se laisser Etre.
  • L’abandon de l’ego découle d’un véritable amour de soi et de la vie. Savourer chaque instant, jouir de soi, sans se fixer. Rester ouvert, disponible, léger. Aller au fond du tourment, pour l’habiter, lui donner sens. « N’ayez de demeure, ni intérieure, ni extérieure ! Allez et venez en toute liberté ! Rejetez seulement de votre esprit ce à quoi il s’accroche ! »  Houei-neng. Voilà mon seul viatique !