Sauve-toi, la vie t’appelle, Boris Cyrulnick, 2012

SAUVE-TOI,

LA VIE T’APPELLE

French psychiatrist Boris Cyrulnik poses on April 10, 2010 during the Cite de la Reussite in Paris. La Cite de la Reussite has gathered students from Europe most prestigious universities and elite schools to listen to an exceptional panel of speakers coming from various backgrounds. Tackling political, cultural and scientific issues, it is highly regarded as a forum for reflection, debate and discussion in order to better understand the world of today and to envisage its foundations of tomorrow. AFP PHOTO MIGUEL MEDINA

 Boris Cyrulnik, Edition Odile JACOB, 2012
 Tout traumatisme modifie la fonction cérébrale : la méthylation de l’ADN et l’apparition d’histones constituent les altérations les plus fréquentes. La bandelette génétique ne s’exprime plus de la même façon et nous ne sommes plus attentifs aux même signaux.
  •  Ces modifications épigénétiques sont très précoces : on découvre l’importance du stress prénatal et l’appauvrissement de la niche affective qui entoure le nouveau-né. Son cerveau ne sera plus harmonieusement stimulé.
  •  La cascade de petits trauma quotidiens répète les déchirures et abîme le développement et accroissent la vulnérabilité de l’enfant, un rien pourra le blesser.
  • En supprimant le malheur social ou relationnel  en modifiant les relations,  ces vulnérabilité neuronales acquises peuvent disparaître ; (p.61)
  •  Les deux facteurs de protection les plus précieux sont L’attachement sécure et la possibilité de verbaliser. Etre apte à se faire une représentation verbale de ce qui est arrivé et trouver la personne à qui le dire, adresser le récit, facilite la maîtrise émotionnelle.
  • Tous les traumatisés ont une claire mémoire d’images et une mauvaise mémoire de mots. (p.62) Les faux souvenirs ne sont pas des mensonges, on peut se souvenir d’événements qui n’ont jamais eu lieu. Ce rappel utilise des fragments de mémoire et d’images de mots pour donner forme, et conscience, à une sensation implicite.

Faux souvenirs mais vrais sentiments.

« Il m’a maltraité » ne veut pas dire qu’il y eu maltraitance réelle mais fait venir en conscience qu’il me suffit de le côtoyer pour avoir l’impression d’être maltraité. (p.66)

  •  C’est en temps de paix que j’ai commencé à éprouver un sentiment : c’est-à-dire une émotion provoquée par une représentation. Une situation n’était plus suffisante pour provoquer une émotion, c’étaient les récits qu’on en faisait. (p.93) Quand le malheur des autres est imaginable, on le compare à nos petites misères. Cette réaction protège l’entourage, et isole la partie non partageable, la « crypte » de l’histoire du blessé.
  • Il est fréquent que le blessé se mette en situation de danger pour prouver qu’il n’est pas soumis au malheur,  que la mort n’est pas inexorable. (p.99/100)
  • Pour se repersonnaliser, devenir maître de sa vie.
  • Toute perte avant l’âge de 2 ans  sera un grave facteur de vulnérabilité, car la parole n’est pas disponible, or la parole est l’outil de régulation affective.  L’enfant sera soumis à ses émotions, sans savoir comme gouverner ses relations, sa vulnérabilité émotionnelle, ses stratégies d’attachement seront curieuses, hyper attachement anxieux, indifférencié, désespéré. Pouvant évoluer vers une dépression. (p.111)
  • La représentation d’un trauma est-elle représentée par la façon d’en parler ? (p.119)
  • L’accablement est venu avec la paix, quand les adultes, chargés de s’occuper des enfants sans famille ne prenaient pas la peine de leur parler ou avec des stéréotypes, environnement verbal côté duquel je connotais affectivement ce qui m’étais arrivé : honte/ fierté, désespoir/gaité, sentiments opposés s’accolaient à un même souvenir, selon la manière dont mon entourage en parlait.
  •  En quittant la synagogue, je dévalais l’escalier aussi long que celui du « Cuirassé Potemkine », dans la réalité, l’escalier de la synagogue de Bordeaux a trois marches émoussées. Dans le réel, j’ai dévalé trois marches. Mais, dans la représentation de ce réel, c’était le Cuirassé Potemkine.
  • Les souvenirs agencent des morceaux de vérité, pour en faire une représentation dans notre théâtre intime, aboutissement de notre histoire et de nos relations.
  • Dans tous les cas, ce sera vrai, comme vraies les chimères,3122881629_1_7_8jwqLDtw monstres imaginaires où tous les éléments sont vrais. Dans la mémoire de soi, la vérité est partielle : on ne se rappelle de presque rien dans les milliards d’informations qui chaque jour nous pénètrent. Puis, on fait une représentation avec ces presque riens qui donnent une forme imagée à ce que nous ressentons.
  • C’est à ce théâtre intime que nous répondons, alors que nous ignorons les traces, non conscientes et les souvenirs empêchés de nos refoulements. (p.126)
  •  Un traumatisé ne choisit pas le silence, quand on revient d’outre-monde, le silence est la seule réponse, les autres sont incapables d’entendre autre chose. La société les fait taire.
  • La vérité narrative n’est pas la vérité historique, elle est le remaniement qui rend l’existence supportable     : Quand le réel est fou, c’est un arrangement avec sa mémoire qui le rend cohérent.
  • Raconter, c’est se mettre en danger.  Se taire, c’est s’isoler. L’énorme déni a enkysté au fond de notre âme une crypte où murmurent des fantômes.
  • 220px-DybbukLes Dibbouks, dans la Kabbale, sont des entités ashkénazes : ce sont des morts qu’on empêche de rejoindre les morts. Alors, il colle à l’âme d’un proche, à qui il « demande » de réparer ses fautes.  Il n’est ni mort, ni vivant. Il est disparu.
  • Les Dibbouks ont habité les maisons où tout le monde pensait aux disparus, sans pouvoir en parler. Si j’ai envie de vivre avec vous, de partager des émotions provoquées par mes souvenirs, je vais en faire un récit que je vous destinerai : il y a une intentionnalité. L’anticipation de mon passé va organiser le futur exposé de ma mémoire.
  • Le temps du déni est nécessaire. L’expression de soi dépend d’une transaction entre ce qu’est le sujet et ce qu’est son alentour. (p.173)

La mémoire va chercher dans le passé les faits qui donnent force à ce qu’on éprouve au présent. (p.188)

  • La maturité précoce n’est pas un signe de bon développement, c’est une preuve d’une gravité anormale pour un enfant, une perte de vitalité. Sous le coup du trauma, les enfants s’éteignent, cherchent à donner une forme verbale à leur abattement dans cet engourdissement psychique persistent des braises de résilience sur lesquelles le milieu peu souffler, pour faire revenir la flamme : comprendre et rêver.
  • Comprendre, c’est permettre de ressentir du plaisir, mais un enfant généralise trop vite, il n’a pas assez vécu pour connaître la nuance.
  •  Quand le réel est amer, on se paye des rêves sucrés. Le rêve corrige le monde intolérable, invente un roman qui met en scène un idéal à réaliser.
  • Fabuleuses chimères, cache-misère romanesques offrent une brève compensation, quelques instants de bonheur imaginaire pour supporter le réel désolé.
  • Dans le mythe, les expériences sont agencées afin de partager une même représentation, un récit collectif. C’est ce que j’ai trouvé dans le communisme.  Mais quand le mythe devient dogme, il y a perversion. Toute opinion différente, même voisine, devient suspecte, donne l’effet d’une transgression.
    Quand le « je » est fragile, le « nous » sert de prothèse.
  •  Le propre de l’événement traumatique est de résister au processus d’historisation. La mémoire traumatique est une empreinte figée, qui n’évolue pas. La nuit, cette empreinte revient sous forme de cauchemars, comme la révision d’une terrible leçon qui renforce la mémoire de l’horreur.
  • Le processus d’historisation est différent, il est intentionnel puisqu’il doit chercher des souvenirs, exploiter des documents, provoquer des rencontres qui nous permettent de remanier la représentation du passé, de changer d’opinion et de manière de voir les choses.
  • La mémoire historique est différente de la mémoire narrative. Haine ou pardon ? Ni l’un ni l’autre.
  •  Haïr, c’est demeurer prisonnier du passé.
  • Pour s’en sortir, il vaut mieux COMPRENDRE que PARDONNER,  pour gagner un peu de LIBERTE.
  • Toute mémoire, tout récit de soi est une représentation de son passé. Mais on n’invente pas à partir de rien. On ne peut rien raconter si l’on n’a rien vécu. Il faut du vrai pour fouiller dans sa mémoire et trouver de quoi en faire une représentation, au théâtre de soi.